
Bonjour David. Je te remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions pour le blog Linguère Sara. Aujourd’hui, tu vas nous parler de ton métier, qui semble être un monde qui te passionne, à savoir celui du design, du graphisme et de l’infographie. C’est parti !
Tout d’abord, peux-tu te présenter aux lectrices et lecteurs du blog ?
J’ai 43 ans, je suis marié et le papa de deux enfants. Mes passions, en dehors du graphisme, gravitent autour de la mer et des moteurs (eh oui, parce que j’aime beaucoup de choses !). Ça passe par le surf, la pêche, la plongée, mais aussi l’univers de la moto, toutes catégories confondues. Bref, que ce soit en tant que pratiquant ou en tant que simple spectateur, je trouve toujours de quoi m’occuper. De plus, j’en partage aujourd’hui certaines avec mes enfants, et c’est vraiment formidable !
Sinon, je passe aussi toutes mes soirées avec ma femme, qui est également ma meilleure amie, à regarder des films ou des séries. Je ne saurais dire combien nous en dévorons !
Depuis combien d’années vis-tu et travailles-tu au Sénégal ?
Je suis arrivé au Sénégal durant l’été 93. J’ai fait ma rentrée scolaire au lycée français J. Mermoz et j’y ai passé mon baccalauréat STT en 1997. Je suis rentré dans la vie active directement après mon bac, sans même prendre de vacances ! J’avais soif de savoir, je voulais du concret, et j’avais également le besoin de me rendre utile.
As-tu toujours pratiqué ce métier ? Pourquoi ?
Oui, j’ai toujours pratiqué ce métier.
Pourquoi ? Simplement parce que je savais que c’est ce que je voulais faire depuis un bout de temps déjà, avant même de rentrer dans le grand bain de la vie professionnelle. Quelques années auparavant, mon père avait créé une société de publicité et de communication, et je suis donc naturellement venu y travailler dès le lycée terminé.
À l’époque, il n’y avait pas encore de spécialisations proposées dans des écoles ou universités, en graphisme pur ni même en infographie. Il fallait passer par les beaux-arts et ça ne m’intéressait pas… Je savais exactement ce que je voulais et j’avais l’occasion de le toucher. Je me suis donc donné corps et âme à mon apprentissage et à ma formation, sur le « tas », comme on dit.
Je me souviens de mes débuts dans la société. Je ne faisais qu’observer les « pros », je posais des questions, je notais tout sur un cahier (cela m’aide à mémoriser les choses). J’avais pour mentors et tuteurs deux graphistes, tous deux diplômés des beaux-arts, avec des spécialités différentes, sortis respectivement majors de leur promotion.
Quand je n’étais pas avec eux, je faisais de la livraison, je rencontrais les clients et des fournisseurs. J’apprenais finalement plusieurs métiers à la fois. C’était vraiment passionnant !
Passé six mois, j’ai demandé à avoir à ma disposition un ordinateur afin de pouvoir commencer à appliquer ce que je voyais tous les jours. Je me suis entrainé, encore et encore, sur différents logiciels, en appliquant les techniques de travail de mes mentors qui gardaient toujours un œil sur mes avancées.
Un beau jour, j’ai été voir le boss et je lui ai dit : « Je suis prêt ! Tu peux me confier un dossier ». Mais ma formation a continué bien longtemps après ça (et elle perdure aujourd’hui encore…).
Si je fais le bilan de là où j’en suis, je peux affirmer qu’il ne s’agit plus d’un métier, mais d’un ensemble de savoir-faire à plusieurs niveaux de compétences, car depuis mes premiers pas dans la profession, je réalise que j’ai fait mon bout de chemin et aujourd’hui, je vole de mes propres ailes, en freelance.
Dans le monde du travail dans lequel j’ai fait le choix d’évoluer, il y a tout à faire. Il y a la nécessité d’être multifonctions et de maîtriser les différents aspects du métier : le commercial, la comptabilité, l’administratif, les relations clients/fournisseurs et, bien sûr, le graphisme… mais ce qui me motive, c’est le challenge que ce panel représente.
Qu’est-ce qui a nourri, jusqu’à aujourd’hui, ta connaissance et ton savoir-faire ?
Tout d’abord, dans ma profession, tout évolue énormément et très vite. Beaucoup de nouveaux métiers ont vu le jour dans cette « sphère graphique » grâce aux nouvelles technologies, mais aussi, et surtout, avec l’essor des réseaux sociaux et leur utilité pour la communication qui doit aujourd’hui être à 360°.
Pour répondre à ta question, je dirai que ma connaissance aujourd’hui est avant tout motivée par une curiosité intellectuelle, car mon envie d’apprendre est toujours aussi présente qu’au premier jour. Du coup, je consacre beaucoup de temps à de l’autoformation au sujet des nouveaux outils informatiques que j’ai à ma disposition. Je me documente énormément auprès d’articles en ligne et de blogs qui traitent de sujets dans ma branche. Je cherche des vlogs concernant l’utilisation des nouveaux outils, des nouvelles techniques de travail… J’essaye de rester le plus connecté possible avec ce qui se fait, d’être dans l’air du temps. C’est un point capital dans le monde du graphisme.
Selon les époques, les goûts et les styles changent. Il faut savoir être en adéquation avec ce qui se fait, tout en gardant sa touche personnelle.
Un autre élément est également crucial, c’est de savoir écouter et comprendre les besoins des clients. La culture n’est pas la même de partout, il faut adapter son mode de création et de communication en fonction de la cible. On ne communique pas graphiquement de la même façon avec tout le monde. Il y a des paramètres à prendre en considération comme le fait qu’une partie de la population ne sache pas lire, par exemple. Si je réalise une créa dans laquelle le texte est prépondérant sur l’image alors que le public ne pourra pas le déchiffrer, la cible du client ne sera pas atteinte et le message ne sera pas transmis. C’est un exemple parmi tant d’autres. Il y a donc des réalités vis-à-vis desquelles il faut s’ajuster en permanence.
Le savoir-faire, je pense que c’est avant tout une question d’expérience, et avec du temps et de la patience, on apprend beaucoup. Même si les situations changent, il faut s’adapter et continuer de mettre en pratique ce qu’on sait, tout en essayant toujours d’aller un peu plus loin à chaque fois dans la réflexion et la recherche, pour fournir le meilleur travail possible. Le plus important est, et restera toujours, la satisfaction du client.
Peux-tu nous expliquer la différence entre un « designer graphique », un « graphiste » et un « infographiste » ?
Alors, un designer graphique, un graphiste (ou encore directeur artistique) sont des mots qui veulent dire la même chose. Il s’agit d’un créatif, responsable de l’identité visuelle. Concrètement, leur rôle est de créer des items visuels variés, de la conception de logos, en passant par la papeterie d’affaires, l’affichage, la production de dépliants et de brochures, etc. Un graphiste est donc plus près de l’idéation et du concept. Comme nous l’avons vu précédemment, les possibilités créatives d’un designer graphique sont pratiquement infinies.
Pour sa part, l’infographiste, d’ordre général, exécute et décline les concepts imaginés par le designer graphique. Son rôle est donc plus technique.
Des deux, lequel te permet de réaliser le plus de créations en adéquation avec les attentes des clients ?
Sans hésiter, le designer graphique ! Comme expliqué juste avant, quand je travaille en tant qu’infographiste, il s’agit plus d’exécution que de travail de création. Quand un client arrive avec un travail, qu’il possède une charte graphique, même si je peux créer quelque chose en restant cohérent avec la charte graphique, je reste guidé par de grandes lignes graphiques.
Lorsque l’on parle « d’identité graphique », de quoi parle-t-on exactement ?
L’identité graphique/visuelle d’une marque ou d’une société se caractérise à la fois par ses éléments constitutifs et par sa fonction. Ils sont en général repris et détaillés dans la charte graphique. Et maintenant, les lectrices et les lecteurs vont se demander ce qu’est une charte graphique et quels sont ses objectifs…
Pour commencer, une charte graphique c’est un ensemble d’éléments définissant l’identité visuelle d’une entreprise, d’une marque ou d’une institution. Elle se présente généralement sous forme de livret comprenant des recommandations/règles d’utilisation sur les éléments visuels qui peuvent être utilisés sur les différents supports de communication. C’est l’outil indispensable pour établir une stratégie de communication sur le long terme.
Pour la communication, ne pas avoir de charte graphique, c’est un peu comme construire une maison sans plan, ça partirait un peu dans tous les sens. La charte graphique guidera et permettra d’établir une stratégie de communication efficace. Efficace ? Oui, car elle sera adaptée au produit, au marché, au public et conservera une cohérence sur l’ensemble de la communication de la marque.
Pour résumer, la charte graphique a pour objectif d’harmoniser la communication. C’est un petit peu comme un guide d’utilisation de l’identité graphique, un résumé accompagnant dans la conception des supports pour conserver une certaine cohérence globale. Elle permettra alors à l’entreprise, à la marque, d’être reconnue dès le premier coup d’œil. Bien respectée, une charte graphique offrira une image de marque forte. Ce n’est pas pour rien si les plus grandes marques/entreprises en possèdent toutes une.
Créer un logo pour un client, est-ce le fruit du hasard ?
La création d’un logo est quelque chose de pensé et de très réfléchi. Il est le pilier de l’identité visuelle. C’est grâce à lui que le public reconnaîtra une entreprise, un produit ou un service au premier coup d’œil. Il doit correspondre aux valeurs, au(x) message(s) que souhaite véhiculer l’entreprise ainsi qu’au domaine de compétence de la structure.
L’appréciation d’un logo reste bien sûr du domaine de la subjectivité. Néanmoins, le logo devra toujours posséder un minimum de qualités :
Simple : Il doit être compréhensible par le public, mais aussi facilement lisible. À la poubelle, les fioritures et les écritures illisibles.
Cohérent : Il doit être en adéquation avec la stratégie de communication de l’entreprise, avec ses missions, ses valeurs, ses messages. Un cabinet d’avocat et une marque de confiserie ne partiront certainement pas sur le même design…
Déclinable : Le logo se retrouvera sur tous les supports de communication de l’entreprise. Il doit donc être toujours reconnaissable, qu’il soit petit ou grand, en couleurs ou en noir et blanc, sur papier ou sur le web.
Durable : Dans l’idéal, il sera intemporel puisqu’il fait partie de l’identité. Le logo Coca-Cola a ainsi plus d’un siècle ! Cependant, un logo pourra éventuellement être rafraichi ou réadapté pour rester dans l’air du temps.
Mémorisable : le logo devra être reconnu et relié immédiatement à l’entreprise par le public. Si je te parle d’une pomme croquée, tu me réponds… ?
Adam et Ève ? (Rires !)
Attribuable : L’intérêt du logo est également de se différencier de la concurrence ! Tu pourrais confondre le logo Nike et le logo Adidas ?
Non, en effet.
En graphisme, le choix des couleurs est-il quelque chose d’anodin ?
Non, les couleurs en graphisme sont porteuses d’un sens et d’une symbolique très forte. Il est donc déterminant de choisir avec pertinence la couleur d’un logo ou d’une dominante sur une brochure. Leur choix doit être la résultante d’une réflexion objective. Si je dois rentrer dans le détail, cela risque de prendre un certain temps, car chaque couleur a sa signification, évoque des sentiments, des émotions ou des impressions, et transmet un message.
Combien de temps faut-il compter en moyenne pour la réalisation d’une création graphique ?
(Rires…)
Tout dépend du type de création à réaliser. On ne mettra pas le même temps à créer une brochure commerciale à trois volets qu’un flyer, une carte de visite ou encore un rapport d’activité. De plus, la création n’est pas quelque chose de concret, c’est-à-dire que ce n’est pas comme aller acheter un stylo à la librairie. Chaque création demande une réflexion pour trouver une ligne graphique qui corresponde parfaitement à l’entreprise ou au produit : le choix des couleurs et des polices suivant la cible, beaucoup de paramètres sont à prendre en compte. Maintenant, il faut se fixer des objectifs, par exemple se dire que la création d’une affiche ne peut pas dépasser deux jours de travail (nuits comprises parfois !), car il y a aussi une question de rentabilité qu’on ne peut se permettre de négliger.
Quelles sont les commandes les plus originales que tu aies eu à honorer ?
Je dirais des faire-parts de mariage avec des demandes plutôt sympathiques de par les thèmes abordés. Même si ce n’était pas de grands moments de design, le fait de faire quelque chose qui sorte complètement de l’ordinaire a rendu cela original. Je me souviens d’un faire-part sous la forme de carte d’embarquement. C’était drôle et le rendu final était très bien.
Qu’est-ce qui te passionne le plus dans l’exercice de ton métier ?
Finalement, ce qui est passionnant dans ce métier, c’est qu’il faille toujours se renouveler. Alors bien entendu, il y a toujours des taches préférées à d’autres, mais je pense que c’est pareil dans tous les métiers. L’important c’est de relever des challenges tous les jours et de donner le maximum. On apprend beaucoup au contact des clients, car pour fournir un bon travail, il faut s’imprégner du secteur où ils évoluent, les comprendre afin que les créations soient le plus en adéquation avec leurs activités.
Quelles sont les contraintes les plus délicates auxquelles un bon designer doit savoir faire face, à ton avis ?
À mon avis, la contrainte la plus délicate est la gestion des clients, je m’explique. Il arrive que des clients viennent me voir, avec une idée bien précise en tête pour leur besoin. Jusque-là, pas de problème, sauf que leur idée n’est pas toujours cohérente avec leur besoin. Le travail du graphiste est d’arriver à visualiser le rendu final très rapidement, afin d’être capable de donner une vision plus claire au client de ce que sera le travail fini. On se doit de conseiller sans heurter, et c’est parfois difficile de faire comprendre que ce que le client souhaite n’est peut-être pas la meilleure des choses pour son projet. Il m’est arrivé de dire à des clients, « vous savez, si vous venez me voir, c’est parce que vous avez besoin de mes connaissances et de mon savoir-faire… quand ma voiture est en panne, je ne dis pas au mécanicien ce qu’il doit faire pour la réparer ! » Donner un « brief » afin que je sache où je vais, c’est ce qu’il y a de plus normal et c’est même indispensable, par contre, me dire comment je dois réaliser le travail, ça l’est beaucoup moins. Mais ça fait partie du métier. Maintenant, techniquement parlant, quand on parle de contraintes, un bon designer doit impérativement être dans le respect des règles graphiques (chartes, codes…), avoir la capacité d’écoute et surtout être capable de respecter les deadlines fixés par les clients. Lorsque je m’engage, j’estime que ma parole est un contrat.
Tu as également un très beau site internet et un blog sur lequel tu rédiges des articles. Qu’est-ce qui motive tes choix dans la rédaction de tes articles ?
Merci ! Pour la rédaction des articles, mes choix viennent de ma volonté à aiguiller, aider à faire comprendre et donner quelques conseils aux clients ou même aux autres graphistes qui seraient intéressés. Partager les connaissances et l’expérience, c’est ce qui permet d’aller toujours de l’avant. Je pars du principe que la bienveillance et la gratitude sont des vecteurs du bon et du bien, et c’est personnellement gratifiant.
À ton avis, peut-on atteindre la perfection en termes de réalisation graphique ? Et si tel est le cas, comment ?
Personnellement, je ne sais pas si la perfection en termes de réalisation graphique est possible et cela pour deux bonnes et simples raisons.
Premièrement, comme dit le dicton, les goûts et les couleurs ne se discutent pas… Ce qui signifie que ce qui va plaire à l’un ne plaira pas nécessairement à l’autre.
Deuxièmement, en art, il y a toujours la possibilité d’améliorer quelque chose, de travailler un détail supplémentaire, de rectifier autre chose… Nous débâtons ici d’un sujet extrêmement subjectif.
Je n’ai pas la prétention de dire qu’une de mes créations est parfaite. Par contre, il arrive qu’un projet touche un sujet qui me parle et où je vais avoir un certain feeling. Je vais faire une proposition de maquette qui m’emballe vraiment et celle-ci va être validée directement par le client qui sera totalement satisfait au premier regard.
Alors là, plutôt que de parler de perfection, je dirai que les conditions étaient parfaites.
Qu’est-ce que la situation mondiale actuelle a eu comme impact sur ta profession ? Pourquoi, à ton avis ?
La situation actuelle est un vrai raz de marée ! Elle a balayé toutes nos habitudes et certitudes. Cette crise sanitaire nous a tous affectés d’une manière ou d’une autre.
En ce qui me concerne, les premiers effets se sont fait sentir dès le mois de janvier avec le début de la crise en Asie. Les commandes des clients se sont raréfiées comme s’il y avait une volonté de prévenir le pire.
Je suis dans le secteur de la publicité et de la communication, ce qui signifie que dès les premiers cas de contaminations à Dakar, les sociétés se sont mises comme en hibernation, évoluant au ralenti, avec juste de quoi survivre. Les premiers postes à avoir été amputés ont été ceux de la communication (alors que le contraire aurait été préférable, car en temps de crise, il est recommandé de communiquer plus afin de rester au contact de ses clients, de ses partenaires et collaborateurs). Comme on dit : « Loin des yeux, loin du cœur ». Maintenant, le virus est plus présent que jamais au Sénégal, les besoins économiques font que les choses reprennent petit à petit, même si cela reste timide. Mais nous sommes tous au pied du mur d’une certaine manière, soit le virus nous tue, soit le manque de travail le fera… J’espère que tout ceci fera vite partie du passé et que tout le monde va pouvoir reprendre une cadence normale dans ses activités.
Sur quelle citation souhaites-tu laisser les lectrices et les lecteurs ?
J’aimerais laisser tout le monde sur une touche d’optimise et de motivation, alors je dirai : « Il faut toujours viser la Lune, parce que même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles ». Oscar Wilde
David, je te remercie grandement d’avoir accepté de répondre à mes questions. T’ayant confié la réalisation de la première de couverture de mon premier roman, j’atteste sur l’honneur de la qualité de ton travail et de ton grand professionnalisme. Je te souhaite le meilleur pour la suite.
Pour contacter David Magri, designer graphiste à Dakar :
Téléphone : 00.221.77.639.13.61 / email : magridavid@yahoo.fr
Crédit photo: Magri David Graphisme