
Charo est franco-bolivienne. Elle vit à Dakar depuis presque 20 ans. Mais c’est dans le sud de la France qu’elle tombe amoureuse du Sénégal. À l’époque, elle travaille aux côtés d’associations locales et côtoie un grand nombre d’Antillais et d’Africains, notamment des Sénégalais et Sénégalaises, qui lui parlent toujours avec beaucoup d’amour de leur pays d’origine. Durant deux années, elle vient passer ses vacances à Dakar, et décide finalement de s’y installer, dans le quartier de Cambérène.
Que faites-vous dans la vie ?
̶ J’aide les autres ! (répond Charo dans un éclat de rire qui résonne longtemps dans la pièce). C’est ce que j’ai fait toute ma vie, au final. Déjà petite, je grandissais au sein d’une famille qui aidait beaucoup la population. En Bolivie, il existe une association qui s’appelle La jeunesse de Saint Antoine. Tous les 23 juin, le jour de la fête de St Antoine de Padoue, nous allions à l’église et nous revenions avec de la nourriture et des vêtements. Nous les lavions et recousions ceux qui avaient besoin d’un coup de neuf. Puis, nous les redistribuions aux plus démunis. J’ai grandi dans cette ambiance. Aider l’autre, c’est mon chemin de vie. Quand je vivais en France, à Toulon, j’étais bénévole pour le Samu Social et le Secours Populaire. Ces missions, auprès des sans domiciles fixes m’ont beaucoup marqué. Et c’est à ce moment-là de ma vie que j’ai compris que ma mission sur cette terre était d’aider les autres.
Êtes-vous membre ou fondatrice d’une association au Sénégal ?
̶ Je suis membre bénévole d’une association sénégalaise à but non lucratif qui s’appelle L’école à l’hôpital et qui est présente au sein de quatre hôpitaux, sur le territoire. L’objectif de cette association est axé sur les apprentissages scolaires comme l’alphabétisation, par exemple. Mais ce que je fais, il faut bien le dissocier de l’association.
Pour ma part, et en dehors de cette association, je m’occupe des enfants hospitalisés pour maladies graves, comme les cancers ou les leucémies.
Vous savez, je ne suis pas venue ici pour m’enrichir, mais pour donner, de mon temps et de mon énergie. Attention, je ne jette pas la pierre aux associations locales qui œuvrent au mieux-vivre de la population. Je dis juste que le « mode association » n’est pas mon mode de fonctionnement. Tout ce que je collecte, je le redonne. Je ne stocke et ne garde rien. Je redistribue tout.
En quoi consiste votre combat ?
̶ Je passe ma vie à chercher des aides soit matérielles, soit financières, des produits de première nécessité pour les enfants et les adolescents de l’hôpital Le Dantec de Dakar. Cet hôpital ne dispose pas de grands moyens et il accueille de nombreux enfants du Sénégal et de la sous-région (de Casamance, de Gambie, de Mauritanie, de Sierra Leone, de Guinée Conakry) atteints de cancer et de leucémie, souvent à des stades très avancés. Heureusement, la structure dispose de médecins et d’aide-soignants extraordinaires ! Il faut savoir que le nombre de cas infantiles de cancer recensé au Sénégal s’élève à six cents par an, environ. Il n’y a pas de temps à perdre et l’urgence est omniprésente pour ces enfants.
La première fois que je me suis rendue sur place, il y a 18 ans, je me suis dit : Comment arriver à joindre les deux bouts ? Et c’est là que j’ai décidé de faire moi-même la Sécurité Sociale !
Pour y arriver, je mets un mouchoir sur mon orgueil et je tape à toutes les portes. Certains me remettent des couvertures, des draps, des serviettes de toilette, des vêtements. D’autres, comme Imodsen, par exemple, acceptent de me faire des prix pour que les enfants puissent passer certains examens radiologiques à coût réduit, au sein de leur structure. Le personnel de certaines structures médicales et des ambassades m’aident à récupérer des biens de première nécessité. Je demande, je vais partout pour eux. Grâce aux dons, j’ai pu habiller deux cent cinquante enfants hospitalisés dans différents services de Le Dantec, en 2018.
Je sais que cela représente une goutte d’eau dans l’océan par rapport à tout ce qu’il reste à faire, et qu’il y a des gens qui font bien plus que moi, mais je me dis que tous ensemble, en donnant un peu, nous pouvons y arriver ! Cette idée est l’un des éléments moteurs qui me donne la force de continuer chaque jour que Dieu fait.
Maudo est un petit garçon, qui, grâce à Charo, a pu bénéficier d’un œil de verre. En guise de remerciements, il lui a écrit ce message qu’elle conserve précieusement et qu’elle a accepté de partager avec nous aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous motive et vous permet de continuer ce combat contre le cancer ?
̶ Les enfants et leur famille bien sûr !
Souvent, lorsque les enfants arrivent de la sous-région, le cancer est à un stade déjà très avancé. Les médecins n’ont pas d’autre choix que d’amputer un membre, souvent d’une jambe. Par la suite, pour pouvoir remarcher, ils ont besoin d’une prothèse.
Il faut savoir qu’une prothèse coûte un million de francs CFA. Quand vous avez une famille à nourrir, que vous gagnez 30.000 ou 50.000 francs par mois et qu’un de vos enfants tombe malade, vous faites comment pour payer les soins et la prothèse ?
Je me souviens d’Oumou, qui arrivait de Guinée Conacky. Elle avait un cancer de la hanche et besoin d’une prothèse pour pouvoir remarcher un jour. Pour financer sa prothèse, je suis allée rechercher des fonds de partout. J’ai fabriqué des sacs, des bijoux, des cartes de vœux. Je suis rentrée en France et j’ai organisé une expo-vente. Les ventes et les dons m’ont permis de dégager les fonds nécessaires pour qu’elle puisse de nouveau « être debout ».
Je me souviens de Fallou dont le petit cœur était malade. Ses parents devaient verser 25.000 francs chaque semaine pour garantir sa survie, mais ils n’avaient pas cette somme. J’ai sollicité La chaine de l’espoir pour Fallou. J’ai même écrit à Mireille D’Arc. Nous avons fait les démarches administratives pour préparer son rapatriement sanitaire afin qu’il soit soigné en France et qu’il puisse subir l’opération. Il a été accepté dans le programme médical et devait partir. Mais au dernier moment, le transfert n’a pas pu se faire. Lorsque je n’avais pas assez d’aide, c’est moi qui payais pour qu’il puisse continuer à suivre son traitement. Fallou était tout jeune, mais il s’est battu pendant presque trois ans, comme le plus valeureux des guerriers contre cette maladie qui a fini par l’emporter…
Je me souviens de chacun, de chacune, de ceux qui sont partis, et de ceux qui ont été sauvés.
Je voudrai profiter de cette interview pour remercier Marie-Jeanne, Amal, Mehedia, Hélène et Mayra qui m’accompagnent et croient en cette aventure humaine, faite d’Amour.
« Petit poème d’Astou Ba pour Charo
Je m’appelle Astou Ba
Je suis une petite fille
Aussi jolie qu’Émilie Jolie
La coquine de vie
M’a pris ma guibole
Mais grâce à vous
Aujourd’hui
Je marche Je danse
Et pour vous remercier
Je danse sur ma guibole
Merci ! »
« Même si c’est pour mourir, nous sommes tous en droit de mourir dans la dignité, et si possible, sur nos deux jambes. »
« Je vous remercie énormément, Madame, d’avoir envoyé tous ces cadeaux pour nous.
Je suis la première qui a eu un cadeau parce que je sors aujourd’hui, le 22 janvier 2015 de Cardiologie. Merci pour votre bien fait. » Iné Ikében
À travers toutes ces illustrations, on comprend à quel point votre présence est précieuse pour tous ces enfants. Vous n’êtes jamais fatiguée de vous battre contre la maladie et les aléas parfois violents de la vie ?
̶ Vous savez, lorsqu’il s’agit des enfants, je me bats bec et ongles ! Je pense qu’il est primordial de toujours, et en toutes circonstances, respecter la dignité de chacun.
Même si c’est pour mourir, nous sommes tous en droit de mourir dignement, et si possible, sur nos deux jambes.
Je fais beaucoup de démarches et j’actionne de nombreuses choses, mais tout ce que j’entreprends, j’essaye de le faire dans la joie et le respect d’autrui.
Et, au final, ce sont les enfants qui m’apportent plus que je ne leur apporte.
Quand on voit guérir un enfant, c’est juste extraordinaire ! (me confie-t-elle avec un sourire resplendissant) C’est l’un des plus beaux cadeaux que la vie puisse nous offrir.
Publié pour la première fois sur le site lepetitjournal.com/dakar
Crédit photo : Stéphane Tourné et Charo Cardenas-Seck
Béatrice Bernier-Barbé